Brouteur, pirate, hackeur d'Afrique

Comment j’ai trollé un brouteur africain ?

Il y a quelques jours, j’ai reçu un mail de ma pote Estelle. D’entrée de jeu, ça n’est pas quelque chose d’habituel. Quand mes amis ont besoin de me contacter, ils le font plutôt par SMS ou téléphone. Mais bon. Admettons.

Elle me dit qu’elle est en déplacement à Dijon (déjà, je comprends que ça va être un appel à l’aide) et qu’elle a perdu ses papiers, son pognon et son téléphone dans un taxi. Bref, galère ! Elle me demande si je peux l’aider.

Copie d'écran du début de discussion

Flairant l’arnaque à 10 kilomètres, je passe un petit coup de fil à la « vraie » Estelle, pour m’assurer qu’elle n’est pas vraiment en galère. Et en effet, tout va bien, elle n’est pas à Dijon (ouf !) et à toujours ses papiers et son argent. Je lui conseille de changer son mot de passe de messagerie en urgence, pour éviter que le pirate ne fasse trop de conneries en son nom.

Pendant ce temps, je me dis que ça serait marrant de troller mon interlocuteur, juste pour voir jusqu’où il est prêt à aller. Je me doute bien que l’objectif est de récupérer de la thune, mais je ne sais pas encore par quel procédé miracle. Le mail que j’ai reçu est formel : je ne dois pas en parler pour ne pas inquiéter son entourage, et ça ne sert à rien de l’appeler puisqu’elle a perdu son téléphone ! Et il termine en demandant s’il y a un tabac ou un supermarché pas trop loin de moi.

Dans quel but ?

L’objectif de la fausse Estelle, me faire acheter des cartes « Transcash » pour au moins 500€. Elle promet de me rembourser en vitesse, une fois rentrée chez elle, dans 3 ou 4 jours grand maximum.

Transcash, c’est un moyen d’envoyer de l’argent à des proches, de manière rapide et plus économique qu’un virement. Pas besoin d’un compte en banque pour réceptionner le blé : vous achetez une carte d’un montant de votre choix, et vous envoyez le code reçu à votre proche pour qu’il puisse récupérer la somme d’argent. Il y a quelques frais, mais ce n’est pas fou. Ces cartes se trouvent dans les bureaux de tabac et dans certains hypermarchés.

Je suis plutôt du genre généreux, alors j’accepte le marché ! Après tout, c’est normal de vouloir aider ses amis ! Je lui promets donc d’acheter les cartes dès que possible.

La demande du brouteur : de l'argent, comme par hasard !

Qui est il/elle ?

En attendant, j’essaye d’en savoir un peu plus sur son histoire ! Pourquoi est-elle allée à Dijon ? Pourquoi elle me contacte, moi ?

Au final, mon nouvel ami le brouteur botte systématiquement en touche. Je me rends compte que ça doit être un pauvre type qui essaye de prendre du pognon, mais qui fait ça en amateur. À aucun moment son attitude avec moi n’est logique. Je veux dire, il aurait pu bosser un peu son personnage et faire des recherches sur sa victime. Savoir où elle habitait, et avec qui. Voir également qui j’étais. Bref, il aurait pu essayer d’en savoir plus pour ne pas se faire griller dès le début.

D’autant que son plan d’action ne fonctionne pas à merveille. Si ce type a bel et bien réussi à pirater le compte d’Estelle, il n’a pas pu le garder bien longtemps. Au bout de 2 réponses, le mail utilisé n’est plus celui de mon amie, mais affiche le nom d’un autre compte. Autant dire qu’en étant un peu attentif, le stratagème est voué à l’échec.

Qui en 2018 peut encore se faire rouler par ce genre de personnes ? Les vieux ? Les naïfs ? Est-ce que vous, vous feriez rouler par ce genre de mails ?

On passe à l’action

Au bout d’un moment (j’avais d’autres choses à faire que de passer ma vie à répondre à ces courriels, j’ai donc laissé passer un peu de temps), je reçois une relance de mon nouvel ami. Il se désespère de n’avoir de réponse de ma part, me dit à nouveau que je suis son seul espoir. Il me baratine.

Je réponds que j’ai les cartes qu’il m’a demandées, pour une somme totale de 600€, mais qu’il faut qu’il me promette de me rembourser au plus vite. L’argent que j’ai utilisé est celui qui me sert à acheter les médicaments de ma maman, très malade… Et que si je ne peux pas acheter ces médicaments, elle va mourir.

Le type n'a clairement aucun remords !

J’espère qu’il aura un sursaut d’humanité ! J’espère qu’il va tomber le masque et me dire que non, c’est une arnaque, que je ne dois pas lui envoyer l’argent et qu’il s’excuse ! Certains escrocs sont des gens bien au fond d’eux, et savent arrêter leur manège quand la vie d’une personne est en jeu.

Mais dans le cas de mon brouteur, point de remords ! Il me promet de me rembourser dans les 4 jours, lorsque soi-disant ma copine Estelle sera rentrée chez elle.

Les photos

Alors d’accord ! Puisque tu veux jouer, on va jouer. Mon nouveau copain souhaite que je lui fasse parvenir des scans des cartes Transcash. Ok, je vais donc envoyer cette photo, 3 fois de suite :

Le code que je lui envoie. Ne cherchez pas, c'est bien une fausse "image not found" !

De mon bureau, j’imagine déjà le type tressaillant d’excitation à la vue des photos, mais rageant qu’elles ne s’affichent pas correctement ! J’espère qu’il perd du temps à recharger la page de son navigateur, qu’il tente de charger les images…

Le couperet tombe : ça ne fonctionne pas chez lui, il ne parvient pas à utiliser les images. Quelle surprise ! Du coup, étant sur mon téléphone, je lui envoie des photos avec mon doigt sur l’objectif. Encore une fois, je suis fier de lui faire perdre son temps. Car finalement, c’est là le nerf de la guerre : le temps qu’il perd à ouvrir et lire les messages, à essayer de charger les photos, c’est du temps qu’il ne passe pas à arnaquer d’autres personnes.

Les photos ne passant décidément pas, mon ami me propose de transmettre directement les chiffres des cartes.

Je me renseigne rapidement sur la forme qu’ont les codes « Transcash », et je tape au pif une série de 12 chiffres. J’envoie mon message.

À mon grand étonnement, je reçois un message de remerciement quelques minutes après ! Dans ma tête, j’en suis à me dire que j’ai tapé un vrai-faux code ! J’ai piqué sans le faire exprès le code non utilisé de quelqu’un ! Putain, la boulette !

Finalement, le code ne fonctionne pas ! Quelle surprise ! Je m’excuse, précise que je suis dyslexique (ce qui est faux, mais on s’en fout ! Lui me fait bien croire qu’il s’appelle Estelle !). Je continue à lui faire perdre son temps en lui demandant de réessayer ! J’essaye de le faire culpabiliser, de l’accuser de mal recopier les chiffres. Mais non, il me garantit que la suite de chiffres est fausse, et qu’il faut que je lui redonne la bonne.

This is the end

Je décide de mettre fin à cette mascarade. La veille, Trump avait qualifié les pays d’Afrique de « Pays de merde ». Mon nouveau copain devait être au courant, vu le tollé que ces propos ont engendré. Du coup, je lui envoie cette photo, en guise d’au revoir :

Je pense que mon nouvel ami a adoré le clin d'oeil !

Je n’ai plus jamais eu de nouvelle de mon brouteur. Au final, notre relation épistolaire aura duré 2 jours, pendant lesquels nous nous sommes envoyé une 100aine de mails sur 2 adresses différentes. J’ai mélangé ici les conversations, mais lui n’a jamais calculé que la même personne répondait et le faisait tourner en bourrique depuis 2 comptes différents.

J’ai essayé de reprendre contact avec lui, lui proposant même 10€ pour qu’il réponde à mes questions. Qui est-il, où vit-il, pourquoi fait-il cela. Mes relances sont restées lettre morte.

Moralité : si un jour un membre de votre famille, ou un ami vous envoie un mail d’appel au secours, il y a de fortes chances qu’il se soit fait pirater son compte. Ne répondez pas à ces sollicitations, sauf si vous souhaitez comme moi faire perdre un peu de temps (et d’argent) à un brouteur africain.

Auteur de l’article : Monsieur LeConn.art

2 commentaires sur “Comment j’ai trollé un brouteur africain ?

    de ville

    (24 septembre 2019 - 14 h 40 min)

    tombée aar hasard (pour les animaux) et je suis morte de rire par les textes. mais dommage ya plus personne??

      Monsieur LeConn.art

      (19 juin 2020 - 23 h 43 min)

      Si si 🙂

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